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lundi, 02 novembre 2009

Les Jours des Morts de Léon Bloy

1894 - 1917 : A travers ses journaux (Le Mendiant Ingrat, Mon journal, Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne, L'invendable, Le vieux de la Montagne, Le Pélerin de la Montagne, Au seuil de l'Apocalypse La Porte des Humbles) Léon Bloy, qui vit le tournant du siècle et La Belle Epoque dans une misère quasi totale, consigne ses sentiments presque chaque 2 novembre de chaque année. Florilège :

 

 

2. Novembre 1894 :

La seule vraie dévotion c’est la pitié pour Jésus c’est-à-dire la compassion pour Marie.

Cimetière Montparnasse. La foule heureusement n’est pas trop compacte. Mais cette visite annuelle des parisiens à leurs morts est si banale que je recueille dans l’air ambiant, l’idée que voici : Pourquoi une agence de publicité n’exploiterait-elle pas les tombes, comme on exploite les parois des urinoirs ou les plafonds des omnibus ? On lirait ainsi l’annonce d’un chocolat nouveau ou d’un dentifrice américain sur les dalles tumulaires, et les murs disponibles des édicules manifesteraient les quatre-vingt mille guérisons récentes, obtenues par l’emploi de tel pharmaque dont l’éloge n’est plus à faire, etc etc…

Une chose pourtant n’est pas ridicule. C’est l’illumination des petites chapelles. N’ayant jamais visité aucun cimetière, le Jour des Morts, j’ignorais cette coutume. Si on ne fermait pas les portes, quelle promenade, en priant les rues solitaires et illuminées de cette ville des âmes qui souffrent, des âmes qui ne peuvent pas parler et qui sont ainsi des âmes enfants !

Sortis de là et assis dans un café, nous sommes environnés d’êtres soi-disant humains, venus aussi des cimetières, et qui nous paraissent moins vivants que les dormientes qui nous ont émus tout à l’heure. Mannequins affreux, sous les hardes qui leur donnent une apparence d’humanité.

2 Novembre 1895 :

Lu dans Le Journal une interview, par correspondance, de plusieurs personnages importants à qui on demande ce qu’ils pensent de la mort. ( !!!) Je ne me souviens pas d’avoir lu rien de plus médiocre de plus abject. La seule bonne réponse je crois est celle de Gérôme disant que la mort a, du moins, ceci d’agréable qu’elle délivre de toutes les crapules avec qui on est forcé de prendre contact.

Jeanne me dit : -La nature humaine est telle qu’on ne peut pas ne pas craindre la mort. Mais quand ce moment redoutable sera passé, on se dira : Combien c’était simple ! et comment avons-nous pu ne pas voir combien c’était simple

2 Novembre 1897 :

Merveilleuse gredinerie du propriétaire assassin qui ayant abusé de la situation lamentable d’une veuve paralytique ignorante et terrifiée, pour lui soutirer des signatures, la dévalise maintenant et la cambriole en sécurité sous l’œil de la juste loi. De notre côté impuissance et cauchemar. Ce démon que j’ai essayé de peindre dans un de mes livres passe ici pour la crème des honnêtes gens.

2 Novembre 1899

La misère des morts en un siècle privé de foi est un arcane de douleur dont la raison est accablée. Il m’est arrivé, pourquoi ne le dirais-je pas, d’être réveillé par les morts, tiré de mon lit par les morts – par des morts que je connaissais et par d’autres que je ne connaissais pas. Une pitié terrible me précipitait, me maintenait à genoux les bras en croix, dans les ténèbres, et, le cœur battant comme une cloche sourde, je criais vers Dieu pour ces âmes…

2 Novembre 1901

Jour des Morts. J’apprends la mort de Julien Leclercq. Nouvelle extrêmement pénible, dont je suis assommé. C’était un de mes rares amis. Où est-il maintenant, ce pauvre malheureux Quelle effrayante pensée ! Mais il n’était pas un méchant et j’espère qu’il a trouvé miséricorde. Qui priera pour lui excepté moi seul, peut-être ?

2 Novembre 1902

Jour des Morts. Les conséquences du mal qu’on a fait retournent continuellement à leur source – tourment des âmes des damnés et des âmes du Purgatoire – à moins qu’on ait interrompu le courant et coupé le câble en devenant un saint.

Les esprits n’ont pas de lieu. Cependant on peut dire que certaines âmes sont enfermées dans un certain lieu, le Purgatoire, par exemple. Mais il faut entendre cela au spirituel, à savoir que certaines choses indispensables leur sont cachées. Leur ignorance constitue leur captivité.

2 Novembre 1905 :

Jour des Morts. Entendu à la Basilique, le plus misérable sermon. Je songeais au discours à faire sur ces mots de la liturgie : « Vita mutatur non tolitur, Apprenez, mes frères, que vous ne devez pas mourir »

Je pense que ce sera la punition des riches de ne pouvoir pas donner. Je me figure ainsi l’enfer et je vois les riches cherchant partout, jusque dans les plus puantes cavernes et les recoins les moins accessibles de leur âme désespérée, quelque chose à donner. Mais ils seront épouvantés de ne trouver que du fumier, un fumier palpable mais sans cesse évanouissant, et qu’ils ne pourront même pas -étant immatériel et qualité toute pure-, avoir la ressource de vendre au poids. Mais une si épouvantable stérilité est nécessairement éternelle puisque dans leur vie, ils n’auront jamais cessé de ne vouloir pas donner.

2 Novembre 1907 :

Jour des Morts – A 6 heures réveillé par un cri horrible que n’avait proféré aucun vivant. Je voudrais que Dieu fit brûler mon cœur

( le lendemain, 3 novembre, Bloy consigne : « Lettre de faire part de la mort de Alfred Jarry, auteur de Ubu Roi, décédé à l’hôpital de la Charité à l’âge de 33 ans. Les obsèques auront lieu à Saint-Sulpice. Bien, mais comment est-il mort, et après quelle vie ? Je pense au cri affreux entendu hier, et qui m’a jeté en bas de mon lit.

2 Novembre 1912 :

On m'envoie une feuille bordelaise, Sports, où je lis ce titre : La Toussaint sportive ! Blasphème dans l'inconscience et la stupidité absolues

2 Novembre 1914 :

Brou vient me voir. Il a un terrible emploi chiennement retribué d'ailleurs à la mairie de son arrondissement, service des allocations, où il voit défiler du matin au soir les plus affreuses misères. On se réjouit comme on peut de la déconfiture désormais probable des Allemands.

2 Novembre 1915 :

Journée de lecture.

Le soir vers 6 heures, visite agréable de Henri Boutet qui me trouve en meilleur état et se réjouit d'apprendre que mon livre sera édité. Commencé aujourd'hui la lecture quotidienne de l'office des morts, ayant décidé de le lire tous les jours de ce mois.

2 Novembre 1916 :

Lettre de Termier m'envoyant une somme de la part d'un ami qui veut demeurer anonyme. Dès le commencement de leur mois, les morts semblent se déclarer en ma faveur.

A Termier : J'ai reçu avec émotion ce que les défunts m'ont envoyé par lui... Je suis depuis longtemps en commerce avec eux et, bien souvent,  ils m'ont secouru...

Le 2 novembre 1917 : Léon Bloy n'a rien écrit, son journal s'interrompant à la date du 20 octobre 1917 sur ces mots : "Après-midi, mandat de 50 francs envoyé par Lamoureux. Jeanne lui répond."

Léon Bloy est mort le samedi 3 novembre 1917, à 6 heures 10 (du soir) très exactement aux dires de sa femme Jeanne. Selon sa propre expression parlant de son fils André, il avait l'air, écrit-elle "d'un Capitaine des Anges"...

15:34 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : jour des morts, littérature, léon bloy, alfred jarry | | |

jeudi, 27 août 2009

Bergère, ô Tour Eiffel

Gustave.jpg« Le billet de 200 francs à l’effigie de Gustave Eiffel (1832-1923) rend hommage au génie créatif et au talent de cet ingénieur à travers son chef-d’œuvre le plus connu, la Tour Eiffel, construite pour l’Exposition universelle de 1889. La Tour Eiffel illustre à merveille la révolution que constitua l’introduction du fer dans l’art de la construction et symbolise l’esprit d’invention et de découverte de la fin du XIXe siècle. »

C'est ainsi que la BdF présente au public l'émission, fin octobre 1996, de son nouveau billet de 200 francs. Il fait partie de la dernière gamme du Franc, gamme hyper sécurisée (filigrane, strap, motifs à couleurs variables, encre incolore brillante,  transvision, microlettres, numérotation magnétique, code infrarouge...) où l'on rencontre également  le Saint Exupéry, le Cézanne et le Curie.

Ces billets de la dernière série, qui ressemblent à des coffre-fort de papier, sont de véritables allégories de la société qu'on met alors en place, monde de codes, d'alarmes et de surveillance-vidéo : Sont-ils encore des francs ( rappelons que franc signifie libre ) ou déjà des euros ?  La question demeure pendante.

Ce que le prospectus de la Banque de France omet de dire, c'est qu'Eiffel et sa Tour ont remplacé in extremis un autre projet consacré aux frères Lumière et au cinéma, projet brusquement abandonné en raison d'une polémique quant à l'attitude des deux frères durant le gouvernement de Vichy.

 

Au recto, le portrait de Gustave Eiffel se détache devant la silhouette du viaduc de Garabit, construit entre 1880 et 1884 dans le Massif central. Eiffel a la barbe bien coupée et la mèche dynamique des sages élèves de la Modernité. Il regarde vers la gauche (vers le passé, dit-on). De part et d’autre de l’arche métallique du viaduc, des lignes courbes violettes, bleues, rouges et jaunes — inspirées d’une étude aérodynamique du patron — forment des cercles concentriques et symbolisent le mouvement. À l’arrière plan du portrait, on distingue le détail d’une charpente évoquant la Tour Eiffel, dont la structure métallique seule pèse 7.300 tonnes (avec les équipements, le poids total de la Tour s’élève à plus de 10 000 tonnes).

 

 

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Au verso, une vue de la Tour Eiffel et du Champ de Mars lors de l’Exposition universelle de 1889. Au loin, le dôme du Palais des Beaux-arts ainsi que la verrière de la Galerie des Machines, construite à l’occasion de la même exposition et démolie au début du XXe siècle. En haut, à gauche du filigrane, une partie de la structure métallique de la Tour Eiffel est reproduite de manière symbolique ; lors de la construction de l’ouvrage, 2 500 000 rivets ont été utilisés pour assembler les quelques 18 000 pièces composant l’édifice. Au pied de l'édifice, quelques silhouettes de Parisiens de la Belle Epoque : les messieurs ont des gibus et les dames portent ombrelles et crinolines.

Devant tant de ferraille en hauteur, la bêtise elle-même est devenue lyrique, la sottise a médité, l'étourderie a rêvé; il tombait de là comme un orage d'émotions. On chercha à le détourner, il était trop tard, le succès était venu, écrivit Rémy de Gourmont en 1901 dans Le Chemin de Velours. »

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« Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu'ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l'art et de l'histoire français menacés, contre l'érection, en plein cœur de notre capitale, de l'inutile et monstrueuse tour Eiffel, que la malignité publique, souvent empreinte de bon sens et d'esprit de justice, a déjà baptisée du nom de Tour de Babel... » : Tout le monde connait la pétition des artistes contre l'érection de la Tour, qui parut dans le Temps du 14 février 1887, parmi lesquels on retrouve François Coppée, Alexandre Dumas fils, Gérôme, Charles Gounod, Leconte de Lisle, Guy de Maupassant... Dans la polémique qui alors faisait rage, on retrouve toujours la comparaison avec Notre-Dame de Paris, et l’opposition entre leurs hauteurs réciproques, leurs matériaux réciproques – et ce débat entre pierre et fer n’en était qu’à son commencement – leurs structures et leurs rôles dans la cité réciproques. En face de la maison du Seigneur s’élevait en effet la Tour du Commerce universel.

« Nul monument, depuis les cathédrales et peut-être depuis les pyramides, n'a remué comme la tour Eiffel la sensibilité esthétique de l'humanité

 

 

Léon Bloy consacre un article entier (qu'on peut trouver dans Belluaires et Porchers) à la promenade qu'il effectua dans les entrailles de cette nouvelle « Babel de Fer » alors qu'elle n'était qu"en cours de construction:

« J’aime Paris qui est le lieu des intelligences et je sens Paris menacé par ce lampadaire véritablement tragique, sorti de son ventre, et qu’on apercevra la nuit de vingt lieues, par-dessus l’épaule des montagnes, comme un fanal de naufrages et de désespoir. J’en appelle, néanmoins l’achèvement de tous mes vœux, parce qu’il faut, une bonne fois, que les prophéties s’accomplissent et parce que j’ai le pressentiment que cette quincaillerie superbe est attendue par les destins.

Ah ! Ce noble Paris, comme il ne sera plus rien du tout, aperçu de cette hauteur ! Il s’humilie déjà bien assez du point où les ferrailleurs sont parvenus. Il lui faudra donc rentrer sous terre, quand on aura boulonné sur son front de gloire quelques dizaines d’arbalétriers de plus.

Et puis cette tour, on ne la sent pas fraternelle comme les autres monuments de Paris. Elle ressemble à une étrangère d’Orient, et on devine qu’elle n’aura jamais pitié de nos pauvres. »

 

 

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samedi, 01 novembre 2008

Le besoin d'absolu

 

Je m'étonne de trouver sous la plume de Victor Serge, de la même façon que sous celle de Léon Bloy, le mot absolu, récurrent, vindicatif, si j'ose dire d'un emploi absolu. Je suis frappé de retrouver dans les Mémoires d'un révolutionnaire, ce même thème du Besoin d'Absolu dont Bloy se fit le pèlerin. Cette ressemblance entre ces deux hommes, le vieux de la montagne et le jeune révolutionnaire contemporains et par ailleurs si opposés, si différents d'âge comme de convictions, ne devrait pas m'étonner. Elle m'étonne pourtant.

Elle me touche encore. Elle me plait ; l'un a jeté toutes ses forces dans la communion quotidienne et la dévotion à Notre Dame de la Salette, l'autre dans le militantisme et l'action révolutionnaire.

Tous deux dépeignent le monde des hommes comme un cloaque, un sordide cachot, et la vie dans la société régie par les lois de l'argent comme une sorte d'agonie perpétuelle, qui rend l'homme indigne de lui-même et de ses proches. Et dans l'intime conviction de tous deux, dans la courbe de leur écriture aussi, l'on sent poindre cette même ferveur, ce même enthousiasme - ces mots, d'ailleurs, reviennent souvent sous leur plume respective - pour ce qu'ils appellent l'Absolu, à la fois introuvable, infréquentable, mais désirable,  aimable au point d'y sacrifier l'attente et l'espoir de toute autre chose et de tout être, toute autre rencontre.

Victor Serge « Jeunesse présomptueuse, dit-on. Plutôt affamée d'absolu. La combine est toujours et partout, car on ne s'évade pas  d'une société, et nous sommes au temps de l'argent. (...) Où aller, que devenir avec ce besoin d'absolu, ce désir de combattre, cette sourde volonté de s'évader malgré tout de la ville et de la vie sans évasion possible »   (Mémoires d'un révolutionnaire, Bouquins, 510).

Léon Bloy :  « Malgré tout, je ne peux quitter cette pensée, cette certitude ancienne que je dois avoir ma revanche en ce monde et que mon drame, jusqu'ici plein de ténèbres et de sanglots, doit se dénouer avec splendeur.  Depuis plus de vingt ans, je compte les jours, en nombre inconnu, qui me séparent du grand jour où une puissance que j'ignore me sera donnée. Dans ma veille ou dans mon sommeil, j'entends l'appel des lieux profonds. »

 (Quatre ans de captivité à Cochons-sur Marne, 10 Juillet 1902, Bouquins, p 421)

 

Aujourd'hui qui s'achève presque, TOUSSAINT, jour de tous les saints, il me plait de les réunir tous deux dans ce billet, l'athée, le croyant, tous deux écrivains et amants de l'Absolu. Et, pour le clore, cette phrase de Bloy (26 juin 1902 - Bouquins, p 419 ):

« Horreur de vivre à une époque si maudite, si renégate, qu'il est impossible de trouver un saint. Je ne dis pas un saint homme, mais un saint, guérissant les malades et ressuscitant les morts, à qui on puisse dire : Qu'est-ce que Dieu veut de moi et que faut-il que je fasse ? »

 

23:22 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : léon bloy, victor serge, recherche de l'absolu | | |

jeudi, 30 octobre 2008

Les octobres de Léon Bloy.

« Laisse là ces feuilles, ma fille, je t'en supplie ! Ne sens-tu pas que c'est un décor sublime ? Serais-tu de ces sottes qui voit toujours le balai ou le râteau à la main et qui ont de l'ordre une idée si basse que leur diligence effacerait jusqu'à la Beauté divine ? Est-ce donc pour balayer et détruire ces feuilles admirables qui épuisent, en octobre, les deux tiers de la palette, que tu as arboré cette magnifique robe de safran ?

Personne, je le vois bien, ne  t'a jamais enseigné que le platane étant, d'après le Saint-Texte, un des arbres mystérieux désignés pour symboliser Marie, il est en même temps celui de tous dont le feuillage retient le plus souvent et avec le plus d'éclat les adorables couleurs du soleil mourant. »

Léon Bloy – « Octobre » (Petits poèmes en prose).

 

21 octobre 1894 : - Je prie comme un voleur demande l'aumône à la porte d'une ferme qu'il veut incendier.

27 octobre 1894 : Il faut être des mendiants à la porte des cimetières ! Des mendiants habillés de feu !

29 octobre 1895 : Faire de l'Art pour de l'argent ! m'écrit de Goux. Travailler pour vivre ! Quelle horreur ! ... alors qu'il ne peut être question que d'avoir de l'argent pour faire de l'Art et de vivre pour travailler.

3 octobre 1902 : Le boulanger, ce matin, m'a parlé de ma note avec une éloquence intérieure, comme autrefois, les premiers chrétiens parlaient du Royaume de Dieu

31 octobre 1903 : Vu, à l'église, notre doyen qui s'approche plein de sourires, pour me remercier de l'exemplaire que je lui ai fait expédier avec cette dédicace : "de la brebis galeuse au bon pasteur." Je proteste contre la brebis galeuse, me dit-il. Mais il ne proteste pas contre le bon pasteur.

 29 octobre 1905 : Révolution, bouleversement effroyable en Russie : serait-ce enfin le commencement de l'universelle conflagration attendue par moi si longtemps ?

8 octobre 1906 : Pour gagner du temps, je fais usage, une première fois, de l'autobus. Ah, je n'échapperai pas aux inventions modernes. Il est vrai que c'était pour courir à la Nouvelle Revue, où mon Epopée Byzantine est acceptée.

15 octobre 1907 : Une commerçante est polie et même affable. Menacée de perdre 50 centimes, elle devient une tigresse, en une seconde

16 octobre 1914 : Après Reims, c'est le tour d'Arras, la merveilleuse capitale artésienne. Son sublime hôtel de ville est en ruines. Le beffroi subsiste encore mais pour combien de jours ?

Le journal de Bloy s'achève un 20 octobre 1917, sur ces mots : « Après-midi, mandat de 50 francs envoyé par Lamoureux. Jeanne lui répond. »

 

Léon Bloy s'éteint le 3 novembre qui suit, à 6 heures 10 du matin.

 

01:19 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : léon bloy | | |

samedi, 20 septembre 2008

Le premier des blogueurs

Si ce n'est pas le meilleur, du moins est-ce le premier d'entre nous, d'entre tous les blogueurs : de 1892 ( Le Mendiant Ingrat ) à 1917 ( La Porte des humbles ), il a développé un art consommé de la note, du billet - comme on dit dans la blogosphère : L'édition de  Pierre Glaudes chez Bouquins des 8 tomes du Journal de Léon Bloy en 2 volumes (novembre 1999) a fait date; coups de gueule sarcastiques, notes de lecture et citations érudites, réflexions critiques, aveux tendres ou caustiques, voici une leçon de propos humbles et péremptoires :

monmartre_ruedelabarre.jpg

 24 décembre 1903 : « Au café du commerce. Note Rapide. Un individu quelconque vient d'entrer. Presque aussitôt arrive un autre individu exactement semblable au premier. Puis un troisième, puis un quatrième, puis dix, vingt, cinquante, cinq cents, on ne sait combien. Le café est rempli, à éclater, de gens qui sont le même, absolument, qui sont un seul. Et voilà le commencement de la fin des cafés, le commencement de la fin du monde. »

15 août 1892 : « Combien de fois ai-je été frappé de cette idée que les premières messes, dites à l'aube ou au lever du soleil, qui prennent le coeur si suavement, sont dites pour les domestiques ! Les maîtres ne se lèvent pas si tôt. »

7 janvier 1910 : « Mémoires d'Outre-Tombe : Aucune valeur historique. Lyrisme insupportable et vanité à décroche-cœurs. Chateaubriand ne voit les hommes et les choses qu'à travers lui-même. »

6 avril 1892 : « Pas le sou, et rien à porter au Mont-de-Pieté. Je me sature de tristesse en relisant de vieilles lettres de mes parents morts et de quelques amis anciens qui m'ont lâché. J'arrive ainsi, vers le soir, à une sorte d'agonie. »

Et puis ce constat, si juste et si définitif : « le comble de la misère humaine, c'est le mépris du pauvre pour les pauvres »

Site où j'ai "piqué" la photo...

 

12:31 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, léon bloy, journal intime, blog | | |

vendredi, 19 septembre 2008

Video surveillance et lieux communs (3)

"Nous sommes tellement dans les ténèbres que le seul pressentiment d'un mystère est, pour nous, de la lumière."

(Léon Bloy)

Cette citation s'applique bien à tous les "santons tristement décolorés sur des écrans policiers", dont il est question plus bas.

23:30 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : politique, léon bloy, actualité, société, littérature, vidéosurveillance | | |

jeudi, 13 mars 2008

J'ai du talent

Cela va de soi !C'est en effet par lui, avec lui et en lui que je suis moi. Grâce à lui que je me réalise. Saurait-on un seul instant imaginer un individu sans talent ? Cela n'existe plus. Rien n'est plus commun que le talent. Désormais toutes les catégories de la société sont concernées par sa production. J'ai du talent. Dans le ventre de ma mère, déjà, n'écoutais-je pas Chopin ? Si, si...  tout en effectuant mes premières positions de hatha-yoga... Oh oui, du talent, j'en ai développé en masse. Comme toute le monde. Socialisé dès ma naissance, comment pourrait-il en être autrement ? A mes heures perdues dans la crèche, j'effectuais déjà mes premières aquarelles, toutes très prometteuses - que dis-je, promesse...( promesse de quoi ? - L'œuvre n'était-elle pas déjà promesse que d'elle-même ). D'elle-même, l'œuvre que je suis... A peine ai-je su marcher que des animateurs bienveillants m'ont enseigné avec un ballon rond l'art de la fugue et du détour : je dribble et je tire des pénos comme un Platoche. A peine ai-je su lire que j'ai voulu écrire comme Minou Drouet et Anne Franck. Un poème, une pièce de théâtre, un roman. Car j'ai du talent. J'ai du talent même en politique, domaine essentiel puisqu'il touche à la vie publique de mes contemporains, mes semblables. Je me présente aux élections. Les classes européennes, où l'on parle une langue par matière, m'ont permis de développer en démocratie marchande une telle compétence de globe-trotter que les explorateurs-amateurs du début des Temps Modernes n'auraient rien à m'envier. Qui parviendrait à compter le nombre de photos (de tout, d'êtres, de choses, de lieux et de bâtiments) que j'ai déjà prises sur les cinq continents ? Photos d'art, absolument. Et, de même, je ne sais plus combien j'ai donné de baisers, ni connu de frissons ! J'ai tant de talents divers et post-modernes que je ne suis plus qu'une gigantesque boule de soi réalisée. Dans la grande matrice de l'humanisme marchand, comme tout un chacun, j'ai tant de talent que je n'entre plus en conflit avec rien.

 

Lorsqu'en 1877, Léon Bloy quitta Paris pour La Trappe, Barbey d'Aurevilly lui déclara : « Je regarderais comme un vrai malheur que vous ne devinssiez pas le grand écrivain catholique dont je perçois en vous les facultés et les puissances. » Rapportant ce propos, Bloy confie à une amie : « Vous me dites que j'ai du talent et vous en déplorez le sacrifice. Je ne le déplore pas. Au contraire, et je serai bien débarrassé. Mon plus grand ennemi, c'est mon talent. Je lui dois le plus ignoble orgueil et l'ambition la plus insensée. Apprenez que je suis dévoré de la plus féroce des passions coupables, la passion de la gloire humaine. Je veux l'exterminer en lui tranchant la tête d'un seul coup et c'est pour cela que je vais à la solitude. Vous dites encore que si je consentais à devenir un religieux militant, je pourrais rendre de considérables services en écrivant sous l'œil de mes supérieurs pour la défense de l'Eglise et l'édification des âmes. Peut-être avez-vous raison, mais je crois qu'un seul Ave Maria  dit avec  cœur au pied de la Croix dans l'obscurité d'un désert est un fait plus considérable par ses résultats que la bataille d'Austerlitz et que la chute de quarante empires. Après cela, qu'ai-je à faire de votre papier et de vos phrases ? Je méprise absolument la littérature, que je regarde comme un jouet plein de tranchants et de piquants empoisonnés, dans les mains inexpérimentées d'un pauvre enfant. »

 

14:31 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : lieu commun, léon bloy, barbey d'aurevilly, littérature | | |

mercredi, 20 février 2008

Le foot, c'est que du bonheur...

« Fuyez le lieu commun…  » : tel était le conseil de James Joyce aux jeunes écrivains. « Dès que vous entendez quelqu'un en proférer un auprès de vous, fuyez ». Facile à dire ! Mais fuir où et par où ? Et où aller ? En quel lieu de la Terre, Seigneur, en quel lieu de l'esprit ?  Léon Bloy n'essaya pas de fuir ceux de son temps, lui. Au contraire, il les regardait bien en face, yeux dans les  yeux, et en dressa une exégèse méticuleuse qui parut en deux tomes. Petite pioche dans l'index : Dieu n'en demande pas tant ; les affaires sont les affaires ; les enfants ne demandent pas à venir au monde ; tout le monde ne peut pas être riche ; bien faire et laisser dire ; être  poète à ses heures

Les  locutions patrimoniales de la Belle Epoque étaient des formules bourgeoises, dixit Bloy dans sa préface.

A l'époque, ces formules circulaient de bouches en bouches ; de boutiques en boutiques et de paillassons en paillassons. On ramassait les premiers à l'école. On en trouvait aussi dans les colonnes des journaux, certes. Et dans les pages des meilleurs romanciers sans doute aussi. Cependant, la vitesse de propagation du virus demeurait sans doute raisonnable.  Aujourd'hui, le lieu commun est d'origine essentiellement médiatique. En bonne place, on trouve évidemment les lieux communs politiques, et nous connaissons tous certains candidats de second tour qui eurent récemment l'art et la manière d'en gaver les Français pour une saison. Les lieux communs journalistiques. Les lieux communs du show-business, et ceux du monde économique.  Les lieux communs cinématographiques.  Ecrans, véhicules commodes. Ne pas se laisser contaminer par eux, depuis que la libre expression de tout un chacun et l'égalitarisme souverain les ont faits se répandre avec une même audace dans tant de bouches, c'est une entreprise quasiment aussi impossible que de respirer de l'air pur dans une métropole un jour de pic de pollution.

Tiens, ce soir, Lyon-Manchester, Ligue des champions à Gerland.  A la limite, on s'en fout de qui va gagner, parce que de toute façon, depuis déjà une bonne dizaine d'années, non ? … « Le foot, c'est que du bonheur! »

Le foot, c’est que du bonheur ;   Remarquez comment on a ôté le « ne » et gardé le « que », histoire de donner un air positif à ce qui reste en grammaire, même restrictive, une négative. La phrase a du coup l'air positif qui convient à l'époque (le foot c'est du bonheur). Pourtant ce n'est pas que ça, mais cela il ne faut pas le dire. Chacun sait que c'est aussi des magouilles, par exemple. Allez voir Courbis il en sait quelque chose. Et puis du fric - oh beaucoup de fric ! - Mais dans le stade, comme dans l'église, non, ça ne se dit pas. On dira donc que c'est le jeu, rien que lui qui (n)'est que du bonheur.

Du coup des tas de petits gamins essayent de trouver le bonheur en tapant le plus jeune possible dans le ballon. Taper dans le ballon le plus jeune possible, c'est un peu comme sucer le micro dès son plus jeune âge, ça laisse quelques espoirs à des parents de s'assurer une retraite paisible. J'ai écrit une connerie ? Oui. Parce que l'argent, bien sûr, ça ne fait pas le bonheur. L'exploit sportif, si. Le foot, c'est que du bonheur...

 

19:00 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : football, lieu commun, léon bloy, solko | | |